Boulimiques vomitives et non vomitives : pourquoi ?

Publié le par Jenny

Boulimiques vomitives et non vomitives : pourquoi ?

Deux profils de boulimiques existent : celles qui se font vomir après les crises, et celles qui ne le font pas.

Cela parait pourtant être LA solution miracle pour toute boulimique : se faire vomir après chaque crise, c'est régurgiter toutes les calories ingérées et donc ne pas grossir. Simple, efficace et (presque) discret.

En réalité, c'est bien plus compliqué que cela.

Vomir, c'est aller rechercher toute cette merde qu'on a mangé. Après la souffrance qu'on a éprouvée à tout ingurgiter (au début d'une crise, certes on mange avec plaisir, mais ce bref réconfort devient vite une souffrance dès qu'on dépasse sa faim et sa satiété...), on doit de nouveau souffrir pour tout faire ressortir : brûlures dans la gorge, odeur nauséabonde du vomi (on se 'salit' de nouveau), bouffées de chaleur, vertiges, nausées, hoquet,... Sans parler des difficultés à cacher ses vomissements à son entourage (bruit et odeur dans les sanitaires), et de toutes les complications que les vomissements répétés induisent : dents qui se déchaussent, brûlures d'estomac et reflux gastro-oesophagiens, mauvaise haleine, perte des nutriments essentiels et carences, fatigue du coeur qui peut aller jusqu'à de graves ennuis cardiaques...

Un autre problème majeur chez les boulimiques vomitives : les crises de boulimie sont de plus en plus fréquentes et rapprochées. On se vide tellement vite qu'on a malheureusement besoin de se remplir aussi vite... Quand on ne vomit pas, même si l'on est capable de manger énormément, on s'arrête mécaniquement, par la force des choses, d'ingérer de la nourriture à un moment ou à un autre. Les vomitives, elles, en ingèrent des quantités gargantuesques, ruinant leur compte en banque pour acheter les aliments de leurs crises répétées. Catherine Hervais, dans son livre 'Les toxicos de la bouffe' disait qu'elle pouvait parfois se faire vomir une vingtaine de fois dans la même journée. Quel calvaire...

Personnellement, en vingt ans de boulimie, et fort heureusement, je n'ai essayé QU'UNE SEULE FOIS de me faire vomir. J'avais aux alentours de 18 ans, et après une crise particulièrement sévère, me sentant très mal, lourde, fatiguée et avec des hauts-le-coeur, j'ai essayé de m'enfoncer des doigts dans la gorge au-dessus de la cuvette des chiottes. J'avais la nourriture qui me remplissait l'estomac et qui me remontait dans la gorge, mais ce n'est pas venu. Blocage. Dégoût. Je me suis sentie condamnée à digérer et à transformer toute cette nourriture en gras sur mon corps. Sur le moment, je me suis sentie maudite, mais j'ai compris bien plus tard que j'avais eu sacrément de la chance de ne pas tomber dans la spirale infernale des vomissements.

Ce blocage n'est pas dû au hasard : avant que je comprenne quoi que ce soit à la boulimie (dans les années 90 je n'avais pas encore internet pour découvrir ce qu'était ce syndrome), j'avais compris que quelquechose ne tournait pas rond chez ma mère non plus. Alors que je m'étais mise à manger, m'empiffrer en cachette vers l'âge de 15 ans (j'expliquerai dans un futur post comment est arrivée ma première crise), ma mère m'a mise au régime en me parlant de l'importance de la volonté et en me promettant que je mincirais naturellement en grandissant. Elle me répétait sans cesse qu'elle aussi avait été ronde durant son enfance et qu'elle avait maigri en grandissant, grâce à sa croissance. MENSONGE. Elle m'a toujours caché qu'elle se faisait vomir en cachette. Je l'ai découvert très vite, quand elle et mon père se sont déchirés pendant des mois avant de se séparer : elle allait se faire vomir en cachette dans les chiottes de notre pavillon familial, pendant chaque repas, quand nous en étions au dessert. Mon frère et moi croyions qu'elle toussait, fort. C'était toujours le même rituel. Elle mangeait super vite son repas, se dépêchait de nous servir le dessert, puis courait aux chiottes, toussait (vomissait), se brossait les dents et revenait toute guillerette, légère, prête à débarrasser le repas et astiquer la cuisine pendant que mon père s'affalait dans le canapé pour regarder les infos à la TV.

J'ai cru longtemps qu'elle toussait. On ne parlait pas à la maison. Mon père avait l'air gêné, je sentais un non-dit très pesant au-dessus de nos têtes, un malaise que nous ressentions tous en nous sans en comprendre ni l'origine ni la nature.

J'ai finalement réalisé que ma mère était anorexique/boulimique vomitive seulement quelques années après, alors qu'elle avait quitté mon père pour partir avec un autre homme, et que de mon côté j'étais définitivement engluée dans mes problèmes de poids, mal dans ma peau et complètement perdue dans mes crises de boulimie. Mes parents me voyaient grossir à vue d'oeil mais faisaient comme si de rien n'était. Ma mère savait pourtant ce que c'était. Non seulement elle a nié ma boulimie, mais en plus elle a refusé de m'aider. Elle m'a laissée sombrer. Aujourd'hui je me dis que pour elle le plus important c'était que je ne tombe pas dans son enfer à elle, celui des vomissements...

Suis-je devenue obèse en vingt ans de boulimie sans me faire vomir ??? Non, mais mon poids a été le centre de ma vie, ma priorité, mon obsession. Quel gâchis d'énergie, d'argent, quelle nuisance sur mes relations amicales, familiales, amoureuses... Echec scolaire à la fac, perte de confiance en moi, rumination permanente... En plus je cachais mes crises à tout le monde, honteuse de ma faiblesse et de mon manque de volonté, mon incapacité à tenir tous les régimes que je commençais. Je suis parvenue à maintenir à peu près mon poids (j'oscillais entre 66 et 76 kg), pendant vingt ans, grâce aux régimes et au sport. Belle et joyeuse en dessous de 70 kg, malheureuse et coupable au-dessus de 70 kg. Mon moral en dents de scie a affecté les relations que j'entretenais avec mes proches : je coupais les ponts avec mes amis, ou refusais d'aller rendre visite à ma famille quand je me trouvais trop grosse. J'étais triste et renfermée au boulot. J'attendais d'avoir le moral dans les chaussettes pour me ressaisir, entamer un nouveau régime et reprendre le sport de plus belle. J'ai divorcé de mon premier mari après 8 ans d'une relation pourrie en grande partie par mon mal être...

J'ai pratiqué la course à pied de façon intensive dès l'âge de 20 ans : trois séances de 40 mn à 1h par semaine. J'ai couru des courses : des 10 km, puis des semi-marathons. J'ai pesé 66 kg en 2011 avant de courir le semi-marathon de Reims, soit 20 kg de moins que mon poids actuel...

Mais le corps vieillit : les grossesses, les muscles, les hormones, le corps qui ne répond plus si bien aux régimes... J'ai de plus en plus de mal à maigrir. Ma volonté s'est émoussée au fil des ans pour tenir les régimes. Je ne sais plus manger correctement, je ne sais plus reconnaître ma satiété, j'engloutis les aliments sans prendre le temps de les mâcher.

Les crises de boulimie me font prendre des kilos que j'ai de plus en plus de mal à perdre, alors ils s'accumulent au fil des mois, des années.

Je ne pourrai plus continuer longtemps ainsi. Je veux guérir et retrouver une relation saine avec la nourriture. Manger quand j'ai faim, m'arrêter quand je n'ai plus faim, ne plus manger quand je n'ai pas faim.

Je veux réapprendre à vivre. A 37 ans, il n'est jamais trop tard.

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